mercredi 24 février 2010

8ème Café-Repaire mardi 30 mars 2010

L'anarchisme, une autre manière de voir : comprendre, proposer, imaginer

Animé par Marc et Matthias

En guise d’introduction on peut citer la présentation du petit livre de Normand Baillargeon qui s’intitule L’ordre moins le pouvoir : histoire et actualité de l’anarchisme.

Affirmez que vous êtes anarchiste et presque immanquablement on vous assimilera à un nihiliste, à un partisan du chaos voire à un terroriste. Or, il faut bien le dire : rien n’est plus faux que ce contre-sens qui résulte de décennies de confusion savamment entretenue autour de l’idée d’anarchisme. En première approximation, disons que l’anarchisme est une théorie politique au cœur vibrant de laquelle loge l’idée d’antiautoritarisme, c’est-à-dire le refus conscient et raisonné de toute forme illégitime d’autorité et de pouvoir. Une vieille dame ayant combattu lors de la Guerre d’Espagne disait le plus simplement du monde : “Je suis anarchiste : c’est que je n’aime ni recevoir, ni donner des ordres.” On le devine : cette idée est impardonnable, cet idéal inadmissible pour tous les pouvoirs. On ne l’a donc ni pardonné ni admis.

Que chacun d’entre nous réfléchisse à ce que signifie pour lui l’anarchisme. Y compris à gauche, ce mouvement d’idée n’est pas très connu et même souvent caricaturé. Hors, l’anarchisme ce n’est pas le terrorisme, ni même le chaos, c’est avant tout une autre manière de voir.

Quel est l’intérêt pour nous de parler d’anarchisme aujourd’hui ? Que nous apportent les auteurs anarchistes ? Il y a selon nous trois réponses à ces questions, qui peuvent constituer les 3 thèmes directeurs de la soirée.

1. Comprendre comment fonctionne notre société

Les anarchistes proposent d’abord une autre manière de voir la société, un regard critique sur le système politique et économique. Il est toujours difficile de porter un regard objectif sur quelque chose de proche. Lire les anarchistes permet de prendre du recul, de mieux appréhender les choses. Par exemple, lorsqu’on lit les anarchistes du 19ème siècle, on est frappé par l’actualité et la lucidité de leurs critiques de la société industrielle. Or comme les choses n’ont pas radicalement évoluées, cette lecture se révèle essentielle pour nous aujourd’hui.

2. Proposer une vision alternative

Les anarchistes envisagent également une autre société possible, une autre manière de vivre ensemble. Le système dans lequel on vit n’est pas issu d’une loi de la nature, c’est le produit de l’histoire, autrement dit il évolue et peut donc être changé. Les anarchistes ont décrit assez précisément à quoi pourrait ressembler une autre manière de vivre ensemble, un autre système politique et économique. Mais en même temps - et contrairement aux marxistes - ils ne souhaitent pas définir trop précisément cet "autre monde" parce qu’ils croient à la capacité créatrice de l'action révolutionnaire. Comme l’explique Bakounine à propos de l’organisation politique.

Il est impossible de déterminer une norme concrète, universelle et obligatoire pour le développement ultérieur et pour l’organisation politique des nations ; l’existence de chacune étant subordonnée à une foule de conditions historiques, géographiques, économiques différentes et qui ne permettront jamais d’établir un modèle d’organisation, également bon et acceptable pour toutes. Une telle entreprise, absolument dénuée d’utilité pratique, porterait d’ailleurs atteinte à la richesse et à la spontanéité de la vie qui se plaît dans la diversité infinie, et serait contraire au principe même de la liberté. Pourtant il est des conditions essentielles, absolues en dehors desquelles la réalisation pratique et l’organisation de la liberté seront toujours impossibles.

3. Imaginer la transition entre la situation actuelle et les changements futurs

Enfin, les anarchistes nous permettent de réfléchir à la manière de passer de notre système actuel à un autre système. C’est sans doute sur ce thème que les anarchistes sont les plus originaux et malheureusement aussi les moins connus. Contrairement aux marxistes qui envisagent de prendre l’Etat afin de changer les choses par le haut, les anarchistes pensent que la seule manière de changer réellement les hommes (et le système du même coup), c’est de le faire par le bas, par l’association des individus qui progressivement prennent ensemble des décisions, participent au processus politique et s’organisent les uns avec les autres.

Historiquement, les idées anarchistes plongent leurs racines dans le 18ème siècle et le rationalisme des Lumières mais ne se développent réellement qu’au 19ème siècle avec le mouvement ouvrier avant de disparaître plus ou moins au 20ème siècle où l’on retrouve néanmoins de grands penseurs anarchistes mais qui n’ont pas eu d’influence réelle sur l’opinion publique. Parmi les théoriciens les plus importants de la philosophie politique anarchiste on peut citer : Pierre-Joseph Proudhon, Michel Bakounine, Louise Michel, Pierre Kropotkine, Bertrand Russell, Howard Zinn et Noam Chomsky.

Quelques références pour une première approche de l’anarchisme : le livre de Normand Baillargeon, L’ordre moins le pouvoir : histoire et actualité de l’anarchisme aux Editions Agone, le film de Daniel Mermet et d’Olivier Azam Chomsky et Cie, et le dossier sur l’anarchisme dans le Monde diplomatique du mois de janvier 2009.

Écoutons Michel Bakounine (1814-1876) qui explique quel est son objectif ultime :

Ce but, cet idéal, aujourd’hui mieux conçus que jamais, peuvent se résumer en ces mots : c’est le triomphe de l’humanité, c’est la conquête et l’accomplissement de la pleine liberté et du plein développement matériel, intellectuel et moral de chacun, par l’organisation absolument spontanée et libre de la solidarité économique et sociale aussi complète que possible pour tous les être humains vivant sur la terre…

Paul Ariès souligne aujourd'hui l'actualité de la pensée anarchiste dans son livre La simplicité volontaire contre le mythe de l'opulence

Nous ne pouvons espérer dépasser ce vent de pessimisme que si nous nous mettons à l'écoute des forces de vie qui ont toujours parcouru le mouvement social. Nous devons réveiller aujourd'hui cette gauche antiproductiviste enfantée par la lecture de Leroux, Kropotkine, Bakounine, Proudhon, Louise Michel et Elisée Reclus.

L'anarchisme, une utopie ? Et finalement qu'est-ce qu'une utopie ?

- On peut considérer l’utopie comme quelque chose qui ne s’est simplement pas encore réalisé.

Théodore Monod disait : "L'utopie c’est simplement ce qui n'a pas encore été essayé"

Dans le film Héros fragiles sur le coup d’Etat de 1973 au Chili, l’un des anciens compagnon d’Allende dit à Emilio Pacull (le réalisateur) : "et ce que tu appelles utopie, il faudra que ca deviennent possible"

- Si on ne partage pas cet idéalisme, on peut malgré tout considérer que l’utopie - même si elle ne se réalise pas - est utile parce qu’elle nous aide à avancer.

Bakounine dit : "c'est en cherchant l'impossible que l'homme a toujours réalisé et reconnu le possible, et ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait le possible n'ont jamais avancé d'un seul pas."

Dans le même esprit, Charlie Chaplin : "Il faut tendre vers l’impossible. Les grands exploits à travers l’histoire ont été la conquête de ce qui semblait impossible."

Enfin René Char : "L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne."

Document de présentation + textes de Proudhon et de Bakounine :
www.lesvertsguebwiller.com/caferepaireflorival/anarchisme.pdf